Transition led/laide, pour une feuille de route avant le noir salle

La table ronde sur la transition des dispositifs techniques dans le spectacle, organisée par Réditec et pilotée par Nicolas Ahssaine, membre du conseil d’administration, a été un moment d’échanges riches en perspectives. Animée par Vincent Robert, directeur de l’APMAC Nouvelle-Aquitaine et trésorier adjoint de Réditec, elle a rassemblé des experts de divers horizons pour discuter du passage à la technologie LED et des enjeux écologiques qui en découlent.

Cet échange, qui s’est déroulé dans le cadre des Journées des Équipes Techniques aux BIS de Nantes et organisée par Zebulon Régie en partenariat avec Réditec le 17 janvier 2024 à 15 h, a réuni : 

David Irle du Bureau des Acclimatations, François Juliat, fabricant de projecteurs LED, Franck Jeanneau, directeur technique du Grand T et adhérent de Réditec, ainsi qu’Yvan Godard, directeur d’Occitanie en scène.

Le sujet au cœur des préoccupations : transition LED/Laide

La table ronde visait à faire le point sur l’organisation de la transition LED, en mettant en lumière les désordres actuels et les défis pratiques à venir. Le sujet central était la nécessité d’une feuille de route, élaborée en concertation avec les acteurs de la filière, pour un déploiement cohérent de cette transition écologique et technique, avant le noir en salle.

Elle a débuté avec un titre provocateur, incitant immédiatement à la réflexion sur les défis liés à la transition vers des technologies plus durables.

Point de vue des directions techniques 

Franck Jeanneau, membre de Réditec, a abordé la question des débuts de la transition, soulignant une préoccupation croissante. Il a évoqué les investissements nécessaires et les objectifs liés à la coordination et à la justesse de la politique de transition. Une première clarification a été apportée en précisant qu’actuellement, le secteur du spectacle vivant est exempté des réglementations européennes concernant l’élimination progressive des lampes halogènes.

Défis financiers et écologiques 

Franck Jeanneau a également abordé les défis financiers, expliquant que bien que la technologie LED permette de réduire le nombre d’appareils nécessaires, le coût des équipements est trois à quatre fois plus élevé. La question du financement, notamment auprès des collectivités, a été soulevée, mettant en lumière une compétition entre les structures pour obtenir ces ressources.

Injonction de transition écologique 

David Irle a abordé à son tour l’injonction de transition écologique. Il a expliqué que la transition vers la LED, bien que technologique, manque d’éléments essentiels pour être véritablement écologiques. La discussion a mis en avant la nécessité d’activer des leviers de sobriété collective et individuelle, parallèlement à l’efficacité technologique.

La transition technologique du point de vue des fabricants 

François JULIAT a apporté un éclairage du point de vue des fabricants, indiquant que la plupart d’entre eux sont prêts et familiarisés avec la technologie LED. Il a reconnu que les projecteurs à LED sont plus complexes à fabriquer et ont une empreinte carbone plus importante en raison du nombre élevé de composants. Il a également mentionné que la réglementation européenne actuelle autorise l’utilisation continue des lampes halogènes dans le domaine du spectacle vivant, mais cette exemption pourrait être révisée à la fin de l’année.

La réglementation vise à encourager une transition écologique, mais la réalité de la mise en œuvre est complexe et doit être réévaluée périodiquement.

La solution de financement en Occitanie

Yvan Godard a partagé l’initiative menée en Occitanie, baptisée « RER » (Référentiel Énergétique Régional). Cette initiative est née après la période de la Covid-19, avec des échanges impliquant divers acteurs du secteur. L’occasion a été saisie pour créer un projet de transition énergétique au niveau régional, financé en partie par les fonds européens du programme REACT EU. Grâce à cette initiative, les structures ont pu bénéficier de financements européens allant jusqu’à 100 %, contournant ainsi les contraintes habituelles de financement.

Harmonisation des impacts sur l’exploitation 

Franck Jeanneau a mis en avant la disparité potentielle entre les grandes structures capables de financer et former leurs équipes et les lieux plus petits confrontés à des difficultés similaires. L’expérience RER a cherché à uniformiser l’impact de la transition en touchant un grand nombre de structures, même si la part de matériel net était moins importante. L’objectif était de favoriser la cohérence territoriale, la circulation des équipes intermittentes entre les équipements et de minimiser les différences dans les plans de feu des équipes artistiques.

Évaluation de l’expérience RER 

La discussion s’est ensuite orientée vers l’évaluation à venir de l’expérience RER. Les livraisons de matériel ont été récemment achevées, mais il a été précisé qu’il faudra du temps pour que les équipes s’approprient pleinement le matériel et que des données puissent être collectées. Il a été mentionné que le manque d’outils pour mesurer l’impact écologique est un défi et que le bilan devrait être plus qualitatif dans un an ou deux, en évaluant l’utilisation du matériel et ses répercussions.

Coordination et mesure 

La question de la coordination et de la mesure a ensuite été abordée. David Irle a expliqué qu’il y a un consensus technique sur l’intérêt global de la transition, mais qu’il subsiste des incertitudes sur son intérêt dans le contexte spécifique du spectacle vivant. L’importance de l’analyse multicritères doit prendre en compte tous les impacts environnementaux. Mesurer le retour écologique sur l’investissement est crucial pour évaluer la pertinence de la transition.

Les intervenants ont discuté des défis liés à l’analyse et l’étude des données. Ils ont expliqué que les performances des projecteurs LED sont mesurées selon différents critères techniques, mais que l’utilisation réelle des projecteurs peut varier en fonction des conditions. L’idée de créer des indices et critères commerciaux pour évaluer les performances écologiques des projecteurs LED a été soulevée, mais la nécessité de maîtriser davantage les données pour évaluer les campagnes de transition est à intégrer.

Critères de réparabilité 

Le critère de réparabilité a été évoqué comme un aspect important dans la conception des produits. François Juliat a expliqué que, bien que la réparabilité soit connue dans le domaine des produits grand public, elle n’est pas encore pleinement appliquée aux produits professionnels à faible niveau de fabrication. Des discussions sont en cours pour établir des critères propres au secteur d’activité.

La question de l’intégration de ces critères dans les marchés publics a été soulevée. Il a été mentionné qu’il existe actuellement des discussions au sein d’associations professionnelles pour établir des critères spécifiques au secteur d’activité, mais il semble que cela ne soit pas encore pleinement intégré dans les cahiers des charges techniques des marchés publics.

Critères de sélection et coordination 

La discussion s’est tournée vers les critères de sélection des équipements. Yvan Godard a alors expliqué que leur démarche dans le cadre du RER en Occitanie, s’est concentrée sur des critères visant à éviter de se retrouver avec du matériel inadéquat. Des critères tels que la prise en charge en maintenance et la disponibilité de marques complémentaires en location ont été privilégiés. L’objectif était d’assurer que l’investissement réalisé sur le territoire ait des retombées positives, indépendamment des structures bénéficiaires.

Défis de coordination et de réparabilité 

Franck Jeanneau a exprimé le besoin de solutions pour intégrer des critères dans les Cahiers des Clauses Techniques Particulières (CCTP) et il a évoqué l’importance d’un référentiel commun par exemple sur la colorimétrie pour assurer l’interopérabilité entre les projecteurs. Il a également mis en garde contre le risque de concentration du marché et a plaidé en faveur de critères de durabilité et de réparabilité dans l’évaluation des équipements.

Sobriété usage et déploiement technologique 

L’accent a été mis sur l’importance d’aller au-delà de la seule technologie dans la réflexion publique. Il faut examiner comment la technologie est déployée et utilisée, en mettant l’accent sur la sobriété d’usage. La mutualisation des équipements a été présentée comme une voie vers une vraie sobriété.

Rôle des acteurs dans la transition écologique 

Davis Irle a mis en avant la nécessité de travailler sur toute la chaîne d’acteurs pour assurer la durabilité et le succès de la transition écologique. Il a souligné que la focalisation uniquement sur la technologie, sans prendre en compte la manière dont elle est déployée et utilisée, risque de limiter l’efficacité de la transition.

Lobbying et contexte réglementaire 

Des informations précises sur la révision réglementaire attendue en fin d’année n’ont pas été fournies, mais il a été indiqué que le lobbying fait partie du processus de révision et qu’une consultation d’experts ou de consultants serait probablement impliquée.

La discussion s’est orientée vers le rôle du lobbying et des instances européennes dans la réglementation. L’association PLAZZA, créée en 2019 avec la participation d’organisations étrangères, a été évoquée comme un moyen de faire entendre les considérations françaises au niveau européen. 

Réflexion sur la transition et temporalité 

L’importance de prendre le temps de réfléchir à la transition a été abordée. La nécessité de s’arrêter, de se poser des questions sur l’efficacité des approches actuelles, et de planifier sur le long terme doit être interrogée. Il a été noté que la rapidité de la transition actuelle pose des défis, et qu’il pourrait être bénéfique de réinjecter du temps dans le processus. Le parallèle avec la transition vers la voiture électrique a été fait pour illustrer la nécessité d’activer d’autres leviers de souveraineté au-delà de la simple technologie.

Accompagnement sur le moyen terme 

La proposition d’un accompagnement sur le moyen terme a été avancée. Au lieu de basculer très rapidement vers de nouvelles technologies sans certitude de leur durabilité écologique, il a été suggéré de planifier des investissements sur une période de 10-15 ans. Ceci permettrait d’éviter des récompenses précoces aux constructeurs tout en donnant le temps de réfléchir et d’ajuster les stratégies en fonction de l’évolution de la transition.

Durée de vie des projecteurs LED 

La discussion s’est orientée vers la durée de vie des projecteurs LED et les considérations liées à la réparabilité. Il a été noté que les projecteurs LED sont technologiquement plus complexes que les halogènes, mais qu’ils sont conçus pour être réparables. La durée de vie des LED a été discutée, avec une estimation générale entre 20 et 50 000 heures. Les conditions d’utilisation recommandées par les fabricants de LED ont été évoquées, et il a été précisé que les projecteurs sont conçus pour fonctionner dans une plage de température spécifiée. 

Le manque de recul sur la conservation de l’homogénéité de l’éclairement entre projecteurs malgré des durées d’utilisations très différentes a été identifié. En tout état de cause des opérations de réétalonnage des parcs lumières sont à prévoir, à ce jour le coût et la fréquence de ces opérations ne sont pas connus.

Solutions de rétrofit 

La proposition de solutions de « rétrofit » a été abordée par François Juliat qui propose des solutions dans ce domaine, notamment pour les projecteurs 600SX à halogène. Cette solution consiste à fournir un bloc avec une source LED, de l’électronique et des connexions, permettant de mettre à niveau les projecteurs existants plutôt que de les remplacer intégralement. Cela a été présenté comme une alternative économique et écologique pour initier une transition vers la technologie LED.

Mutualisation et partage des équipements 

La discussion s’est étendue à la mutualisation des équipements. Il a été suggéré que partager des projecteurs LED entre plusieurs utilisateurs pourrait rendre leur utilisation plus rentable et répondre à certains critères écologiques. Des expériences de mutualisation à l’échelle départementale ont été mentionnées, soulignant la possibilité de maximiser l’utilisation des projecteurs et de réduire les coûts.

Question sur la sécurité et les normes 

Une question a été posée concernant la sécurité des projecteurs LED et la conformité aux normes. François Juliat a expliqué que les projecteurs sont conçus avec des mécanismes de sécurité pour prévenir les dommages en cas de surchauffe et qu’ils sont construits en suivant les spécifications des fabricants de LED.

Appel à la collaboration 

La question reste posée sur ce que l’on doit faire du parc lumière existant, fonctionnel et réparable et qui va être rapidement considéré comme un déchet. De même que l’interrogation face à la capacité des constructeurs à fournir l’ensemble du parc matériel français en un temps réduit. 

La discussion s’est conclue sur une note d’optimisme, avec un appel à la collaboration et à la curiosité. Une initiative appelée Mobivolt, portée par le collectif Sowatt a été présentée. Elle vise à créer un laboratoire R&D d’intérêt général, avec un focus sur l’analyse du cycle de vie des équipements, notamment des LED. Une invitation a été lancée à tous ceux et toutes celles intéressés à se joindre à cette démarche et en particulier à Réditec, pour des contributions à partir du mois de mars.

En outre, une mention a été faite d’une initiative lowtech (Lumière naturelle dans les boîtes noires) qui cherche à réinterroger les usages scéniques pour réduire l’impact environnemental, en plus de la transition technologique. 

Jean-Rémi Baudonne, président de Réditec a conclu en remerciant les participants et participantes ainsi que les intervenants pour la qualité des débats. Il a indiqué la création de commissions thématiques transversales nationales au sein de l’association, et dont la première sera dédiée à la transition écologique. 

Les participant.es ont été invité-es à contribuer à cette commission.

La session s’est clôturée sur l’idée d’activer tous les leviers possibles pour réussir la transition écologique, avec l’espoir de se retrouver dans deux ans.

Conclusions

La table ronde a permis d’explorer les aspects réglementaires, financiers et écologiques de la transition énergétique dans le spectacle vivant. Elle a mis en lumière les défis rencontrés par les fabricants, les implications de la réglementation et des solutions de financement novatrices mises en œuvre au niveau régional. La transition technologique dans le spectacle vivant nécessite une coordination et une harmonisation entre les usagers et les constructeurs pour assurer une mise en œuvre réussie et durable.

Réditec remercie chaleureusement Vincent Robert, David Irle, Franck Jeanneau, François Juliat, Yvan Godard, Nicolas Ahssaine et Zébulon Régie ainsi que les 170 participantes et participants pour leur contribution à cette table ronde.